Comment se portent les médias lyonnais ?

Dans ce contexte singulier, le paysage médiatique lyonnais résiste mais l’inquiétude quant à l’avenir demeure. Entre succès, baisse des revenus et crise économique, radioscopie de la situation. 

Radios, quotidiens, hebdomadaires, mensuels, pure players, télévisions….dans la Métropole lyonnaise les médias sont nombreux, proposant une offre diversifiée et inédite à échelle locale. Pour cette enquête, une liste non exhaustive de médias lyonnais d’information a été contacté (cf : dans les coulisses en fin d’enquête).

La continuité de l’information

Dès le début du confinement, certains médias se sont interrogés sur la nécessité de continuer à informer au même rythme et de la même manière qu’à l’accoutumée. Plusieurs médias ont fait le choix de cesser leur parution comme le quotidien gratuit 20 Minutes. “Le modèle de distribution repose sur les transports en commun et la parution sur la publicité, le confinement a marqué la fin de la publication dans l’ensemble du groupe“, explique la journaliste locale du média Caroline Girardon dont l’activité se résume aujourd’hui à alimenter le site internet.

Même son de cloche du côté de Nouveau Lyon, spécialisé dans l’immobilier et l’urbanisme qui a cessé pendant deux mois (numéros d’avril et de mai) la parution de son mensuel. “Notre imprimeur venait de nous annoncer qu’il arrêtait d’imprimer, certains points de vente fermaient, notamment nos deux meilleurs qui sont les Relay de la Part-Dieu. Mais c’est surtout l’absence d’actualité dans notre domaine qui nous amené à arrêter la diffusion“ explique Fabien Fournier, le rédacteur en chef qui assure désormais seul la continuité de l’information avec trois articles par semaine sur le site. 

Enfin, le dernier exemple de média ayant arrêté sa diffusion est marquant. Il s’agit du Petit Bulletin, un hebdomadaire culturel gratuit. Après un numéro diffusé uniquement en version numérique, la parution a cessé après la mise en chômage partiel quasi complète des quatre journalistes et du rédacteur en chef Sébastien Broquet. “Comme tous les acteurs indépendants des médias et de la culture, nous craignons pour la survie de notre entreprise“, explique ce dernier dont le média, qui repose sur la publicité d’annonceurs culturels, a signé les deux appels des indépendants lyonnais

La une du numéro 986 du Petit Bulletin. Uniquement disponible en ligne, le journal a été réalisé en 24 heures avec des plumes invitées pour l’occasion ©Lepetitbulletin

Télétravail globalisé et chômage partiel

L’application des gestes barrières est indispensable pour continuer à travailler et à assurer la sécurité des journalistes. Pour cette raison, et pour éviter les déplacements, donc les risques, l’ensemble des médias ont mis en place le télétravail quand c’était possible. 

En radio, la diffusion en direct implique la présence de journalistes en studio. Néanmoins, chez Radio Scoop et RCF Lyon elle est réduite au minimum. Pour la radio catholique, les bonnettes (accessoires en mousses protégeant les micros) sont individuelles et le studio est désinfecté complètement après chaque utilisation. Pour Radio Scoop, les présentateurs (matin, soir et week-end) ont chacun un petit studio et ne se croisent pas car : “la règle c’est qu’il n’y ait qu’une personne dans les locaux en même temps“, explique Gaël Berger le coordinateur de la rédaction. 

Elle se confine dans les studios de Lyon 1ère pour
“garder le lien avec les auditeurs“

La présentatrice de la matinale de Lyon 1ère a fait un choix surprenant : en début de confinement, Mao Manylam s’est installée dans les studios de sa radio. D’origine strasbourgeoise, plusieurs de ses proches sont tombés malades et certains sont décédés. Il était hors de question pour elle de courir le moindre risque. “Cela a été une évidence, je voulais rester pour assurer l’antenne“, explique la jeune femme. Depuis, elle ne quitte plus le studio grand de 100 m2, sa seule compagnie étant le journaliste qui l’accompagne lors de la matinale. Après deux mois confinée, elle est rentrée chez elle le 11 mai pour “prendre une vraie douche“ avant de retrouver le chemin de la radio pour animer une nouvelle fois la matinale. “Il y aura un avant et un après“, conclut la présentatrice changée par cette expérience. 

De 7h à 10h, Mao Manylam anime la matinale de Lyon 1ère

Pour aller plus loin : reportage dans les locaux de Lyon 1ère

Dans les radios interrogées pour cette enquête, les interviews sont revues. Plus aucun invité n’est présent en studio et le terrain est proscrit. Les interviews se font donc par téléphone. Jean-Baptiste Cocagne, rédacteur en chef de RCF Lyon, demande à son interlocuteur d’enregistrer la conversation avec un autre téléphone puis de lui transférer l’enregistrement : “Cette technique permet une meilleure qualité de son que l’insert téléphonique“, explique t-il.

La télévision sur le terrain

Pour d’autres, le terrain est indispensable. C’est le cas des chaînes de télévisions qui ont besoin d’images. A Lyon, plusieurs médias ont des correspondants locaux comme M6, France 2 ou encore TF1 via une agence de presse. Il y a également deux chaînes locales avec France 3 Rhônes-Alpes et BFM Lyon. Pour les journalistes de cette dernière rédaction, le fonctionnement est semblable à BFM TV : les reporters travaillent en binôme sur le terrain afin d’assurer les mesures barrières et un troisième journaliste réceptionne les images et monte le reportage. 

Chez France 3, l’organisation est bousculée. L’édition locale du Grand Lyon a été supprimée et l’édition de la région du Rhône (Ain, Ardèche, Drôme, Loire et Rhône) est remplacée par une édition régionale réalisée avec les équipes de Clermont-Ferrand et Grenoble. Une rotation est mise en place entre les 67 journalistes : “Ils alternent entre 4 jours de terrain en binôme, puis 14 jours de télétravail afin de s’assurer qu’ils ne soient pas contaminés et qu’ils ne contaminent pas d’autres personnes“, explique Xavier Rolland le rédacteur en chef de France 3 AURA. Le personnel disponible a permis de renforcer les équipes web : “Tous les journalistes alimentent le site, c’est la première fois. Cette crise nous a montré l’importance du numérique“, analyse le patron de l’antenne locale dont le journal de midi réalise ce semestre 11.8 de part d’audience en moyenne contre 9.2 l’année dernière.

Au sein de la récente rédaction de BFM Lyon,“les choix forts, c’est de garder l’antenne et continuer à informer en proposant une tranche d’information incarnée (ndlr : la matinale)“, explique son le rédacteur en chef Bertrand Riotord. Pari gagnant, puisque selon les tendances calculées sur l’audience digitale, celle-ci a triplé la première semaine après l’annonce du confinement et est encore deux fois supérieure aux précédents mois. “On se rend réellement compte de l’intérêt d’une chaîne comme la nôtre. Les Lyonnais ont aussi besoin et envie de savoir ce qui est mis en place pour eux, en bas de la rue“, analyse Bertrand Riotord qui espère vite revenir sur une grille de programmes classique.

Du terrain mais pas pour tous

Les médias de presse écrite sont partagés sur le sujet mais continuent globalement à aller sur le terrain avec plus ou moins fréquemment. Chez Mag2Lyon, le terrain est limité aux indispensables et la plupart des interviews sont réalisées par téléphone. Lyon Capitale, comme Le Progrès, maintient sa présence sur le terrain pour les journalistes qui le souhaitent. Pour le rédacteur en chef du quotidien régional, Xavier Antoyé, c’est indispensable et c’est même une responsabilité. 

Pour Xavier Antoyé, rédacteur en chef du quotidien régional Le Progrès, le journaliste doit être sur le terrain durant le confinement. Selon lui, cette période particulière oblige encore plus le journaliste. Interview réalisée par téléphone le 6 mai.

Les mensuels continuent… différemment

A Lyon, on compte plusieurs mensuels d’information générale, un dédié à l’économie, un à l’urbanisme et un dernier aux événements mondains. Pour chacun d’entre eux, la situation est différente. Lyon Décideurs est un nouveau mensuel arrivé sur le marché pour un premier exemplaire au mois de février. Le dernier né du groupe Rosebud ne se voyait pas arrêter sa diffusion alors même qu’il avait déjà un écho auprès des décideurs lyonnais, “si on arrête, c’est un mauvais signal envoyé aux lecteurs”, explique Jean-Pierre Vacher le directeur du média. Pour Lyon People et Nouveau Lyon, l’absence d’actualité a forcé l’arrêt.

La quasi totalité des mensuels ayant continué à publier ont réduit leur pagination. Lyon Décideurs a supprimé trois pages liées à la restauration et aux sorties ainsi que son dossier “dans les locaux de“. Même son de cloche pour Mag2Lyon qui a divisé par deux sa voilure en supprimant plusieurs rubriques liées à la culture et une aux rencontres avec des chefs d’entreprises. 

D’un point de vue éditorial, l’ensemble des mensuels traite du coronavirus. C’est Lyon Capitale qui a marqué le plus son choix en proposant des numéros “100% coronavirus“. Les articles du numéro d’avril sont d’ailleurs accessibles gratuitement sur le web car “on considérait que le contenu relevait de l’intérêt général“, explique Mathieu Thai le directeur de la rédaction. Le numérique, c’est aussi le choix de Lyon Mag dont le rédacteur en chef n‘a pas souhaité répondre à nos questions malgré nos multiples relances. Le mensuel qui est paru pour couvrir les élections municipales et métropolitaines n’est cependant accessible qu’à l’achat sur Internet

Enfin, si les mensuels continuent à paraître en version papier c’est qu’ils ont un avantage évident : “Il suffit de sortir une seule fois dans le mois pour nous acheter“, explique Lionel Favrot, le directeur de la rédaction de Mag2Lyon. Pour ce dernier, paraître est même une nécessité : “On a un lien particulier avec les marchands de journaux car on n’est pas présent sur le numérique, tant qu’ils restent ouverts nous publions“, explique le chef de cette rédaction indépendante. Cependant, la presse écrite lyonnaise est plus prudente sur ces hors-séries. Si ce n’est les suppléments estivaux, aucun hors-série ne sortira avant septembre prochain, ils ont tous été reportés ou annulés.

Le quotidien lyonnais Tribune de Lyon a, quant à lui, fait le choix de continuer sa parution avec six numéros exceptionnels durant la crise. Nous regrettons que la rédaction n’ait pu avoir le temps de nous répondre. 

Tribune de Lyon a reçu pour la cinquième année de suite l’Etoile d’Or ACPM-OJD, qui récompense la plus forte croissance de tous les journaux de France.

Pour aller plus loin : reportage dans la rédaction vide de Tribune de Lyon

Un succès sur internet

A l’image de 20 Minutes qui a battu son record absolu d’audience (à l’échelle nationale)  sur son site internet le 15 mars, avec la double actualité élections/coronavirus, l’ensemble des médias ont des audiences sensiblement en hausse pour la même raison.

Les pure players indépendants vont passer la crise

Rue 89 Lyon et Médiacités Lyon sont deux médias indépendants strictement présents sur Internet. Leur système économique est néanmoins différent : Rue 89 Lyon vit des abonnements, de la publicité et d’évènements. “Le budget pub, c’est environ 500 euros par mois, soit nos dépenses en piges“, explique le journaliste Bertrand Enjalbal. Ainsi, le média fait moins appel aux pigistes durant cette crise. De plus, ils ont mis en place une offre spéciale en avril avec un mois d’abonnement gratuit pour susciter l’intérêt et créer la fidélité. 

Pour Rue 89 Lyon, séduire de nouveaux lecteurs est l’objectif durant la crise

Chez Médiacités Lyon : “La principale difficulté a été le positionnement du média durant la crise”, explique son cofondateur Nicolas Barriquand. Finalement, les deux journalistes de la rédaction font vivre leur identité éditoriale par les angles proposés. Un succès car en mars le site a signé son deuxième mois avec le plus d’audience depuis sa création en 2017. Aujourd’hui, la fréquence d’abonnement du pure player indépendant est revenu au rythme des pré-municipales. Cependant, le co-fondateur espère rapidement retrouver la dynamique porteuse de ces élections : “Ce n’est pas la panique à bord mais comme toutes les entreprises nous ne sommes pas rassurés pour autant“, conclut le média dont le modèle économique repose entièrement sur l’abonnement. 

Les médias lyonnais vont-ils survivre ?

Il est encore trop tôt pour répondre à cette question importante. La situation est complexe et différente pour tous. Cependant, la survie de la plupart des médias passera par le retour des annonceurs et donc de la sortie de la crise sanitaire. Sur ce point, Philippe Vives, le directeur exécutif de Lyon Capitale qui a perdu 50% de ses revenus publicitaires, se veut optimiste : “Je pense que l’essentiel des annonceurs reviendra car ils auront besoin de communiquer sur leurs offres et leur existence“. L’inquiétude est plus forte pour les médias dépendants principalement des annonceurs culturels comme Rue 89 Lyon mais surtout pour Le Petit Bulletin qui joue sa survie. 

“Dans l’économie d’un journal, il y a plusieurs éléments : le lecteur c’est-à-dire l’abonnement et la vente au numéro, les publicités et, pour un certain nombre de titres, les annonces légales“, explique Mathieu Ozanam, président du Club de la presse de Lyon et rédacteur en chef du tout nouveau média OUR(S). A cela, on peut ajouter les évènements – tous annulés ou reportés – comme c’est le cas pour Le Progrès, Le Petit Bulletin ou Rue 89 Lyon. 

Ainsi, l’économie des médias lyonnais reste fragile et leur survie dépend des lecteurs et du soutien de ces derniers après la crise. Dans la grande majorité des cas, les médias lyonnais possèdent une trésorerie qui leur permet de tenir à court terme. Lors de cette enquête, tous les médias interrogés ont parlé de 2021 comme d’un cap à franchir et pour cela les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs devront répondre présents en continuant à s’informer massivement. 

Arthur Blet 

Les coulisses :

Liste de l’ensemble des médias contactés. Les prises de contacts sont faites par mail, téléphone et Twitter et l’ensemble des interviews se sont déroulées par téléphone sauf mention contraire :


Manylam Mao de Lyon 1ère le 08.04 – Bertrand Enjalbal pour Rue 89 Lyon le 27.04 – Caroline Girardon pour 20 minutes Lyon le 27.04 – Gaël Berger pour Radio Scoop le 27.04 – Mathieu Thai pour Lyon Capitale le 27.04 – Nicolas Barriquand pour Médiacités Lyon le 28.04 – Fabien Fournier pour Nouveau Lyon le 28.04 – Mathieu Ozanam pour le Club de la presse de Lyon et pour OUR(S) le 29.04 – Philippe Vives pour Lyon Capitale le 30.04 – Lionel Favrot pour Mag2Lyon le 30.04 – Sébastien Broquet pour Le Petit Bulletin (par mail) le 05.05 – Xavier Antoyé pour Le Progrès le 06.05 – Jean-Pierre Vacher pour Lyon Décideurs le 06.05 – Jean-Baptiste Cocagne pour RCF Lyon le 07.05 – Bertrand Riotord pour BFM Lyon le 08/05 – Xavier Rolland pour France 3 AURA le 08/05.

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